Une crise des gros élevages : René Louail, éleveur breton, parle.

Par , 27 août 2015 8 h 29 min

Paysan costarmoricain récemment à la retraite et dont la ferme à été reprise par un de ses enfants, ancien éleveur de porcs sur paille (320 porcs à l’engrais), de volailles labels et brebis viande, sur une exploitation de 44 hectares dont 70% en herbe, ayant traversé toutes les crises depuis 40 ans, syndicaliste dans les rangs de la Confédération paysanne, élu régional de Bretagne sous la bannière d’Europe écologie les Verts, René Louail souligne, dans l’entretien qu’il a accordé à GLOBALmagazine, la singularité de la crise porcine d’aujourd’hui, incomparable aux précédentes.

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“La crise révèle un problème de valeur ajoutée et non pas de restructuration de l’agriculture”

René Louail, paysan breton

GLOBALmagazine : Depuis les années 80, l’élevage porcin est régulièrement en crise. Crises qui, à chaque fois, concentrent la production entre les mains des plus gros éleveurs. En clair, le nombre d’éleveurs de porcs ne cesse de diminuer mais le nombre de porcs produits reste le même, voire augmente. Cette crise va-t-elle aussi concentrer la production comme les précédentes ?

René Louail : Pendant longtemps, dans les années 80-90, les crises étaient cycliques au niveau européen mais assorties d’un phénomène de balancier international : quand on avait des cours élevés en Europe ils étaient faibles aux Etats-Unis et vice-versa. Il y avait différents mécanismes qui permettaient d’amortir une crise conjoncturelle. Ces mécanismes ont progressivement diminué car tout le monde est sur les mêmes marchés : quand le prix du cochon est bas à un bout à l’autre de la planète on a automatiquement des effets néfastes partout.

Depuis les années 2000, et notamment le passage de Mariann Fisher-Boel à la Commission européenne (femme politique danoise, Commissaire européenne à l’agriculture de 2004 à 2009, NDLR), on a en Europe la volonté de détruire les outils de gestion des marchés : on a de moins en moins la possibilité d’intervenir avant et pendant une crise. Avant, on a des outils statistiques pour agir à temps et pendant la crise on peut prendre la décision politique soit de stocker, soit d’exporter, soit de diminuer le cheptel. Aujourd’hui, nous sommes sans outils comme un pompier sans lance à eau devant un incendie.

Gm. : Le porc n’est pas le seul secteur en crise. Il en est de même pour la viande bovine et le lait. C’est toute l’agriculture qui va mal ?

R.L. : Non.Les crises des production animales arrivent à un moment où les céréaliers se portent très bien. Les rendements 2015 sont élevés, notamment sur la partie nord de la France et de l’Europe, et les prix des céréales sont extrêmement corrects. Des rendements élevés et des prix élevés, il faut le dire, or les premiers clients des céréaliers sont les éleveurs. Ces derniers sont dans des systèmes de production de plus en plus granivores : normal pour les animaux granivores comme les volailles et le porc tandis que pour les vaches laitières c’est dicté par la taille et le mode industriels des élevages. En effet, plus les troupeaux sont grands, moins on les met à l’herbe et en plus on cherche la ration alimentaire qui fera produire le maximum de lait, d’ailleurs aux dépens de la durée de vie de l’animal. Avec cette dépendance céréalière, les éleveurs sont de plus en plus vulnérables.

Gm. : Il y a donc des intérêts antagoniques entre éleveurs et céréaliers ?

R.L. : Je n’ai entendu, ni lu, personne rappeler au cours de cette crise que Xavier Beulin, président de la FNSEA, avait promis la création d’un fond de solidarité entre les éleveurs et les céréaliers. Cette promesse était son premier grand geste de président de la FNSEA. Lui, grand céréalier, aux manettes d’outils importants au niveau céréalier, parlait de développer une plus grande solidarité entre céréaliers et éleveurs… Il l’avait même annoncé à François Hollande, lors d’un entretien à l’Elysée en 2012. On annonçait un fonds de 100 millions d’euros… Depuis, plus rien, il ne l’a jamais mis en place. Et depuis le début de cette crise, je n’ai pas entendu Xavier Beulin en parler. Et pas un média lui rappelle sa promesse.

Gm. : En quoi cette crise porcine est-elle différente des précédentes ?

R.L. : Nous sommes aujourd’hui exposés à une crise plus violente que par le passé car pendant très longtemps les plus gros éleveurs laissaient mourir les petits éleveurs, ce qui permettait d’amortir la crise. Les petits servaient de variable d’ajustement. Aujourd’hui, c’est plutôt l’inverse qui se passe. Les petits qui ont survécu – qui sont plutôt des moyens – ont résisté en mettant en place des systèmes de production avec un lien plus fort entre le nombre d’animaux élevés et la surface agricole de la ferme, ce qui par ailleurs est une preuve de civisme. Ces éleveurs tiennent mieux le coup dans cette crise que les gros éleveurs qui ont investi énormément, qui ont bouffé la ferme du voisin, qui ont acheté du foncier à prix élevé et le gros matériel qui va avec de telles tailles d’exploitation. C’est donc une crise qui touche plutôt les gros, modernisés et endettés. C’est un vrai changement de nature de la crise. A partir de ce constat, je ne demande pas à ce que la collectivité vienne en aide à des gens qui ont bouffé leurs voisins.

Gm. : On parle beaucoup du poids du marché au cadran de Plérin sur le prix du porc…

R.L. : Certes, le « marché au cadran » est un yoyo mais qui ne concerne que 12% de la production régionale et qui néanmoins sert de prix indicateur à tout le reste, mais avec cette taille là ce n’est pas un marché ! Le plus important est de décrypter ceux qui s’y affrontent. D’un côté, il y a Leclerc et Intermarché qui valorisent ce qu’ils achètent « au cadran » sur le marché intérieur et qui le vendent très bien, ce qui leur permet d’acheter plus cher ; de l’autre côté, il y a la Cooperl qui est allé jouer les gros muscles en Corée, en Chine et partout… Il y a 30% de la production qui part à l’export… aujourd’hui la Cooperl et ses semblables s’y confrontent aux Allemands, aux Danois et, comme ils perdent, ils demandent une harmonisation des règles pour être compétitifs. Nos coopératives ont fait pire que les entreprises privées. Les entreprises en vrais gestionnaires ont valorisé sur le marché intérieur, les coopératives ont joué au concours du plus gros à l’international et elles ont perdu.

Gm. : Même si l’on envisage l’export comme un moyen d’ajustement du marché intérieur, les échanges internationaux existent et sont inévitables, non ?

R.L. : Nous sommes dans une situation géopolitique extrêmement fragile, c’est aussi un point qui participe du changement de nature de la crise actuelle. L’embargo avec la Russie, les dévaluations successives de la monnaie chinoise soulignent que l’Union européenne n’est pas capable d’affronter la compétition infernale internationale, car la Chine peut et va s’approvisionner dans d’autres espaces, comme le Brésil. Face à des pays qui dévaluent, nous sommes incapables de vendre nos côtelettes et nos litres de lait.

Gm. : On a l’impression que le gouvernement de François Hollande n’a pas vu venir la crise agricole, pourtant, Stéphane Le Foll, ministre de l’Agriculture, a été député européen, en charge pour le parti socialiste de la Politique agricole commune. Il est donc au fait des dossiers agricoles. Qu’en pensez-vous ?

R.L. : La myopie politique du gouvernement est le quatrième aspect singulier de cette crise. Paradoxe pour un connaisseur des questions agricoles, Stéphane Le Foll n’a rien vu venir et le syndicalisme majoritaire en profite. Depuis 2012, pour avoir la paix sociale dans les campagnes, le ministre de l’agriculture cède sur tous les dossiers à problème. Au lieu de répondre par des réponses politiques aux crises d’aujourd’hui, le ministre donne des moyens pour restructurer l’agriculture. La plus grande partie des aides octroyées depuis deux ans sont des aides à l’investissement, sans visibilité : aide à la méthanisation, aide pour le fameux PMBE – le plan de modernisation des bâtiments d’élevage. Les agriculteurs ont investi, résultat, du lait plein les tuyaux, des cochons pleins les camions ! En résumé, le ministre a fait le contraire de ce qu’il fallait faire. Il n’a pas vu que la crise avait changé de nature ; que les réponses apportées sont de court terme. Ce n’est pas un problème de restructuration de l’agriculture mais un problème de valeur ajoutée. Les paysans capables d’aller sur des systèmes économes, peu fragiles, moins endettés vont sur le marché intérieur ; ceux qui vont faire des concours de caïds sur le marché international demandent et continueront de demander aux pouvoirs publics des moyens nouveaux pour équilibrer leurs fins de mois.

Derrière cette crise se dessine aussi une inflexion politique de taille : on est en train de mettre les pouvoirs public en condition de négocier la prochaine Politique agricole commune, en 2021, dans le sens d’une plus grande libéralisation, en accord avec le traité transatlantique en négociation. Ce projet se résume à placer l’agriculture sous un système assuranciel : des assurances privées assurent les revenus des agriculteurs mais ces derniers ont des subventions publiques pour payer les primes d’assurance, ce qui leur permet d’affronter le marché mondial. Dans ce système, déjà en place aux Etats unis, les petits paysans sont exclus.

Gm. : A vos yeux, quelles sont les solutions pour résoudre cette crise générale de l’élevage ?

R.L. : La charge principale d’un élevage, c’est l’alimentation. Elle pèse en moyenne 60% du prix de revient. Pour sortir les productions animales de ce système destructeur, il faut, premièrement, mettre au point une indexation du prix des productions animales sur le prix des céréales. Deuxièmement, il faut remettre en place un outil européen de protection douanière. Quand on a trop de production, on n’est pas obligé d’en importer ! Il faut que l’on protège notre agriculture et avec elle la liberté de nos modes alimentaires. Troisièmement, il faut que les aides européennes et nationales à la production agricole soient re-calibrées pour s’orienter vers une agriculture qui réponde aux enjeux sociaux et sociétaux comme la qualité gustative de la nourriture, le climat , la protection de la biodiversité et la juste rétribution des paysans. Les aides que l’on donne aujourd’hui aux grandes exploitations pour qu’elles deviennent encore plus grosses et qui participent à vider les campagnes, ce sont, je pèse mes mots, des aides toxiques. Je considère que s’il y a des économies d’échelle, je ne vois pas pourquoi on donne des aides aux plus gros, aux plus puissants. Il faut plafonner les aides publiques. Comme on donne des aides aux 50 premiers hectares, on pourrait limiter les aides aux 200 000 premiers litres de lait, aux 1000 premiers cochons en temps de crise etc… On soutiendrait ainsi le développement d’une agriculture diversifiée sur tout le territoire. Au-delà, ceux qui veulent jouer aux gros bras et au système libéral, qu’ils le fassent avec leur argent mais pas avec les deniers publics. Avec un peu de volonté politique, cela peut se mettre en place d’ici 2021 et façonner la prochaine PAC. Si on veut traiter l’agriculture comme n’importe quel autre secteur industriel, on va vider les campagnes et on passera notre temps à distribuer de l’argent pour corriger les erreurs.

Gm. : Cette question est pour le conseiller régional que vous êtes : voyez-vous un lien entre l’orchestration syndicale de la crise et les prochaines élections régionales ? En clair, la crise de l’élevage est–elle à un degré ou un autre instrumentalisée par l’opposition au gouvernement ?

R.L. : C’est évident, la crise est instrumentalisé par un lobby qui veut passer de la simplification à la dérégulation. A un croire Xavier Beulin, l’agriculture française va mal à cause des normes, à cause l’application sérieuse, contrôlée, des normes environnementales européennes et du carcan administratif français, entendez les charges sociales. Il y a quelques jours, se servant de la crise actuelle pour entrer en campagne, Nicolas Sarkosy s’est fait l’écho du président de la FNSEA en déclarant « Il faut réinventer notre système, sur la base d’une baisse massive des charges et d’un reflux des normes, qu’elles soient européennes et françaises ». Cela veut dire que l’on va tirer la qualité de la production vers le bas, vers la malbouffe pour nourrir les pauvres, parce qu’il y a de plus en plus de pauvres. Alors que dans une démocratie comme le nôtre on devrait s’arrêter en premier lieu aux inégalités sociales et tirer tout vers le haut. On ne peut pas réduire l’agriculture a sa fonction de production. Elle a aussi une fonction d’aménagement du territoire, de préservation de la qualité de l’eau, de la biodiversité. La déclaration de Nicolas Sarkozy, avec les mêmes slogans que Xavier Beulin n’est pas un hasard. Stéphane Le Foll, François Hollande et Manuel Valls ont déjà dérégulé, la Droite aspire à faire le reste du chemin en profitant des élections régionales pour continuer à casser la ferme, d’autant qu’il y a une partie du budget agricole (le deuxième pilier de la PAC ) qui est géré par les Régions.

Gm. : Ce constat n’éclaire-t-il pas le peu de prise qu’on les régions sur leur réalité territoriale ?

R.L. : Les Régions ont une marge de manoeuvre limitée, mais elles l’ont. Même si il faut suivre l’esprit de la PAC, personne n’oblige à Bruxelles de faire en région des Plans de modernisation des bâtiments d’élevage, ça c’est purement français… Les régions, majoritairement à gauche, ont suivi la politique nationale imposée par Valls, Hollande et Le Foll. Au lieu de s’émanciper en disant « voilà ce que l’on veut faire », les régions ont accompagné la direction nationale dans la gestion de 2/3 des financements publics de l’agriculture. Le gouvernement s’est plié aux volontés de la FNSEA sous menaces de désordre dans les campagnes…il a donné et a eu aussi le désordre.

Gm. : Oui, côté désordre, ça se pose là …

R.L. : On a affaire à une politique d’ayatollah du genre « si vous ne faites pas ce que je veux, vous avez le pétard sur la tempe ». L’an dernier, les légumiers de la FNSEA ont incendié le bâtiment de la Mutualité sociale agricole et le centre des impôts de Morlaix. Aucune interpellation. Idem pour les destructions de portiques de l’écotaxes. A contrario, on poursuit les syndicalistes non-violents de la Confédération paysanne pour leur opposition à la ferme des 1000 vaches. Comme la pression violente semble marcher, les syndicalistes FNSEA se disent qu’ils peuvent encore aller plus loin et les voilà ces derniers jours à déverser des remorques de fumier un peu partout. Il y en a partout, c’est vraiment la honte. Les grosses fermes sont venus vider leurs poubelles sur les rond-point. C’est un mépris scandaleux pour les citoyens et l’argent des contribuables. Quand on reçoit 9,2 milliards de la PAC auxquels s’ajoutent 4,6 milliards du ministère de l’agriculture et l’argent des collectivités territoriales, soit en gros 150 euros par Français, on ne se comporte pas ainsi. Une famille de 4 personnes, qui donne donc 600 euros par an reçoit en remerciement… du fumier plein la figure. Ce n’est plus de l’incivilité, c’est une insulte. Cette situation pose sur la place publique la question de la légitimité des aides à l’agriculture. Des aides, je le répète, toxiques.

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99% des porcs dans 50% des fermes

Pas toujours simple d’avoir des statistiques agricoles conçues pour une lecture grand public. En 2010, la France métropolitaine comptait 22 300 exploitations qui élevaient des porcs, contre 59 500 en 2000. Soit une perte de 62,5 % des exploitations sur tout le pays (on monte à 2/3 de disparition en Bretagne). Comparativement, la production de porc est passée de 14 869 000 en 2000 à 13 800 000 en 2012 soit une diminution de 6,8%, ce qui montre bien la ruine des petits éleveurs au profit des gros. Toujours selon le ministère, 99 % de la production était réalisée par 11 500 élevages qui détenaient plus de 100 porcs ou 20 truies. Sur cette période 2000-2010, la taille moyenne des ateliers porcins a été multipliée par 2,5 sur la période pour atteindre 620 porcs.

Les dernières estimations (2013) du ministère de l’Agriculture donnent 19 688 exploitations porcines en 2013 et 13 322 897 porcs en 2014. On reste dans la même dynamique de concentration de la production.G.L.

Repris de Global Magazine

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